mercredi 21 avril 2010

Spleen (LXXVIII)

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.




Charles Pierre Baudelaire (1821-1867) est un des poètes français les plus célébres. Il fut tour à tour poète, critique d'art, essayiste et l'un des premiers traducteurs des oeuvres de l'écrivain américain Edgar Allan Poe qu'il contribua à faire connaitre en France.

En 1857, parait son oeuvre majeure "Les Fleurs du Mal" dont est extrait le poème Spleen ci-dessus. Ce recueil sera poursuivi pour "offense à la morale religieuse" et "outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs."

Le mot spleen est un mot anglais provenant du grec ancien σπλήν signifiant "rate" ou "mauvaise humeur". Les Grecs pensaient que la rate déversait un fluide noir dans le corps (la bile noire) responsable de la mélancolie (théorie des humeurs).
Chez Baudelaire, le spleen est une des composantes essentielles de son angoisse d'exister. On assiste donc à une perte d'idéal.

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